L’avenir de la gendarmerie en question
(À l’occasion de la retraite d’un général)
C’était le 26 septembre dernier, à la grande caserne de Maisons-Alfort, le général Bertrand Cavallier organisait son pot de départ et prononçait un petit discours qui n’est pas passé inaperçu chez les gendarmes et ceux qui les connaissent bien. Le départ à la retraite rapide – il aurait pu prolonger son activité – de ce militaire connu pour être un homme de conviction est jugé symbolique par beaucoup d’entre eux. Il illustre à sa façon le malaise de cette institution, malaise que l’on avait évoqué longuement sur ce blog il y a quelques mois.
Sans remettre en cause le rattachement du commandement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, le général Cavallier a estimé que l’avenir de la gendarmerie devait reposer sur trois grands principes « historiques » qui sont un peu son âme. Façon de dire que, a contrario, la perte de ces principes signerait à ses yeux la mort de cette institution. Dans le contexte de ces dernières années – marquées par l’engagement d’un mouvement de fusion progressive entre police et gendarmerie -, le rappel de ces principes prenait alors une dimension polémique évidente. Ils sont donc au nombre de trois : militarité, hiérarchie, immersion au sein de la population.
Militarité
Les gendarmes sont des militaires, fiers de l’être, et – à tort ou à raison – ils attribuent un certain nombre de vertus essentielles à cette militarité : « dévouement », « disponibilité », « discipline », « robustesse », « posture morale », face à « une société minée par l’individualisme et le relâchement », écrit le général. Moins habituel est sans doute son rappel que « la militarité, c’est aussi une garantie de transparence, une exigence éthique, si utile pour le respect des libertés publiques et des grands équilibres nécessaires à notre démocratie ». Pour maintenir ces valeurs, le général Cavallier a expliqué qu’il attend du prochain gouvernement trois mesures à ses yeux essentielles :
1- le maintien du placement de la formation initiale des gendarmes sous l’autorité du ministère de la Défense.
2- « l’arrêt de cette surenchère sur fond de mutualisations, de mixité… entre les deux forces de sécurité, qui, loin de stimuler une saine et utile complémentarité, engendre des risques de confusion des rôles, de fragilisation fonctionnelle, sans évoquer l »interrogation sur la réalité des buts poursuivis ».
3- « le maintien de l’ancrage au sein de la communauté militaire », évoquant ici l’engagement de gendarmes dans les guerres extérieures comme en Afghanistan.
Hiérarchie (commandement)
Là encore, le discours du militaire surprend peu au premier abord. Sa charge polémique arrive cependant rapidement lorsqu’il appelle les chefs à assumer pleinement leur rôle et leur responsabilité face à un mode de management qui tend au contraire à fabriquer des hommes et de femmes n’osant plus prendre la moindre initiative et désespérant leurs troupes : « (la hiérarchie doit être) rayonnante, engagée, volontaire, mature, militante. Décomplexée de tous atermoiements, ambiguïtés voire inversions, induits sous couvert de management ou de prétendue modernité ». Chaque échelon hiérarchique a sa fonction au service de l’ensemble, rappelle le général Cavallier. Mais cet ensemble ne saurait bien fonctionner si cette hiérarchie est rendue trop dépendante des autorités politiques, dit-il encore, critiquant implicitement ici la politisation du sommet de la hiérarchie que l’on rencontre souvent dans la police nationale.
Immersion dans la population
Et voici donc le troisième principe, qui mérite d’être cité intégralement : « Notre statut militaire, avec le logement concédé par nécessité absolue de service, sont les deux atouts qui ont permis à la gendarmerie de développer notre posture d’immersion au sein de la population. L’immersion qui va beaucoup plus loin que la proximité. L’immersion, c’est vivre là où l’on travaille, avec sa famille. Il en découle à la fois une connaissance de la population, qui est l’enjeu principal, dégagée de préjugés et recentrée sur des individualités. Il en ressort un lien privilégié avec l’ensemble des acteurs locaux. Connaissance et lien qui permettent de redimensionner la fonction sécurité en mission plus large de régulation sociale. Mon expérience à la tête de la région de Picardie, région difficile, a confirmé cette importance qu’il faut attacher à cet investissement quotidien dans le local, dans le territoire. Au travers d’une démarche humanisée, conjuguant de façon très ajustée, prévention et répression ». Tout est dit ou presque sur la doctrine de la « surveillance générale » qui fut enseignée pendant des lustres et que nombre de gendarmes estiment aujourd’hui gravement menacée par la culture du chiffre, la réduction des effectifs, le centralisme jacobin et le développement des polices municipales voire inter-communales.
Un beau discours, donc, que certains de ses collègues (tels le président de l’Association de défense des droits des militaires) jugeraient presque encore trop optimiste tant les changements ont été importants ces dix dernières années. Reste que, comme le signale à sa façon le général Cavallier, les dix prochaines seront probablement celles où se jouera définitivement l’avenir de la gendarmerie nationale.
Article publié dans Le Monde du 15 10 2011